Table ronde du 11 avril 2025 avec Renaud Delacroix, Chargé de projet et Amel Moumni, éducatrice Spécialisée
Ce séminaire a exploré la pratique du “hors les murs” dans l’accompagnement des personnes concernées par les addictions, mettant particulièrement l’accent sur l’importance de “l’aller vers”. Deux intervenants ont partagé leur expertise : Amel Moumni, éducatrice spécialisée au CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) Interval de Villeneuve- Saint-Georges, et Renaud Delacroix, travaillant dans un CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques pour Usagers de Drogues).
Renaud Delacroix a d’abord retracé l’historique de la réduction des risques, née dans les années 1980-1990 face à l’épidémie du VIH. Cette approche s’est construite sur un principe fondamental : aller vers les usagers plutôt que d’attendre qu’ils viennent aux structures. Les premières interventions, comme les bus d’échange de seringues et les maraudes, se faisaient sans murs, avant même l’existence de structures fixes. Le travail hors les murs dans la réduction des risques s’est structuré autour de principes similaires à ceux de la prévention spécialisée : lien inconditionnel, anonymat, libre adhésion, en lien à une approche à “bas seuil d’exigence” concernant la consommation.
Les intervenants ont identifié plusieurs bénéfices majeurs du travail “hors les murs”. Il permet un décloisonnement des pratiques en sortant des cadres institutionnels rigides et en adaptant l’intervention au contexte. Cette approche facilite l’accès à des populations qui ne franchissent pas les portes des institutions, notamment des jeunes ou des usagers qui n’ont pas la capacité ou l’envie d’entrer dans les structures de soin. Elle permet également un meilleur repérage et une connaissance plus fine du public en observant les pratiques, en comprenant les contextes, les modes de consommation et les évolutions des produits. Le travail hors les murs contribue à la déconstruction des préjugés, tant pour les professionnels que pour les publics concernés. Enfin, en créant un premier contact, cette approche prépare le terrain pour d’éventuelles orientations vers le soin.
Un point central du séminaire concernait l’approche professionnelle à adopter. Les intervenants ont souligné l’importance de s’intéresser au “comment” plutôt qu’au “pourquoi” : la question “comment consommes-tu?” s’avère plus efficace et moins intrusive que “pourquoi consommes-tu?” pour entrer en relation. Une posture humble et respectueuse est essentielle, impliquant de se faire “inviter” dans l’espace des personnes, de demander la permission symboliquement, et de reconnaître qu’on entre dans leur territoire. La construction du lien se fait progressivement, le temps étant un facteur essentiel, avec un lien qui se crée sur la durée et la régularité des passages. La question de la présentation professionnelle (éducateur, infirmier, intervenant en prévention…) reste ouverte et dépend largement du contexte.
Plusieurs défis ont été identifiés au cours du séminaire. Avec les adolescents, il est particulièrement difficile de trouver le juste équilibre entre une posture non jugeante et le risque d’apparaître comme validant des pratiques potentiellement nocives. L’évolution des pratiques de consommation et de deal, notamment avec les livraisons à domicile et l’utilisation d’applications, rend nécessaire l’adaptation constante des stratégies d’intervention. Les professionnels doivent également composer avec les attentes parfois contradictoires du voisinage et des institutions. Enfin, la question de la violence, notamment sur les scènes de crack, nécessite des adaptations spécifiques dans l’approche des publics.
Le séminaire a mis en lumière une expérience concrète de collaboration entre le CSAPA Interval et l’équipe de prévention spécialisée Pluriel 94 à Villeneuve-Saint-Georges. Ce partenariat, bien que récent (1 an et demi), illustre comment la prévention spécialisée facilite l’accès aux jeunes et aux quartiers pour les professionnels du soin, tandis que le CSAPA apporte une expertise sur les questions d’addiction et des possibilités d’orientation. Les maraudes communes permettent de combiner les compétences et d’enrichir les pratiques. Ce partenariat ouvre des perspectives intéressantes pour toucher des jeunes qui n’auraient pas accès aux soins par les voies traditionnelles.
Le séminaire a également évoqué des formes émergentes de travail “hors les murs”, comme l’intervention dans les établissements scolaires, bien que celle-ci reste compliquée à mettre en place en raison des résistances institutionnelles. Les maraudes numériques sur les applications de rencontre (pour toucher notamment les usagers de chemsex) ou sur les plateformes utilisées par les jeunes constituent une autre forme innovante d’intervention. Enfin, les approches auprès des revendeurs, considérés comme des acteurs à part entière du système et potentiels relais de prévention, ont été évoquées comme une piste à explorer.
En conclusion, le travail “hors les murs” apparaît comme une approche essentielle et complémentaire aux dispositifs institutionnels classiques. Il permet d’aller à la rencontre des personnes là où elles se trouvent, dans une démarche qui respecte leur rythme et leur environnement. Cette pratique, née dans le contexte de la réduction des risques liés à l’usage de drogues, trouve aujourd’hui des résonances dans d’autres champs d’intervention et démontre sa pertinence pour créer du lien avec des publics qui restent éloignés des structures traditionnelles.