L’alcool chez les jeunes : entre culture, représentations et accompagnement

Séminaire du 16 mai 2025 par Dr Martial Prouheze, Psychiatre

 

Le Dr Martial Prouheze, psychiatre et ancien médecin généraliste fort de 40 ans d’expérience, nous livre une réflexion approfondie sur la problématique de l’alcool chez les jeunes, ancrée dans son parcours professionnel et sa connaissance de l’évolution de l’addictologie.

Son parcours débute dans les années 1980, période où la psychiatrie adoptait une approche humaniste envers les patients souffrant de troubles mentaux, mais paradoxalement moralisatrice envers ceux présentant des addictions. Les “toxicos” et “alcoolos” (termes qu’il emploie délibérément pour souligner leur caractère péjoratif) étaient alors soumis à des “cures de dégoût” ou des sevrages volontairement douloureux, dans une logique punitive aujourd’hui abandonnée.

Ce sont les patients eux-mêmes qui ont contribué à faire évoluer les pratiques, notamment dans le contexte de l’épidémie du SIDA qui a accéléré l’adoption des traitements de substitution et du concept de réduction des risques. L’émergence du concept d’addictologie a ensuite permis de considérer ces problématiques comme des maladies plutôt que comme des fautes morales, même si le Dr Prouheze note que parfois, “le phénomène addictif a pris le dessus” au détriment de l’attention portée à la personne dans sa globalité.

La position culturelle et sociale de l’alcool en France reste profondément ambivalente. Produit ancré dans notre culture judéo-chrétienne et viticole, l’alcool a longtemps été considéré comme un aliment (jusqu’en 1970). La législation reflète cette ambiguïté : l’alcool n’a été interdit dans les cantines scolaires qu’en 1981, et la loi Évin de 1991, visant à protéger les jeunes, a été assouplie par la loi Macron de 2015 pour “redynamiser” le secteur. Le psychiatre cite d’ailleurs les propos révélateurs du président Macron distinguant le “fléau” des jeunes qui “se saoulent à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière” tout en exonérant le vin de cette critique.

Concernant spécifiquement les jeunes, les statistiques montrent que si la consommation globale diminue, les modes de consommation problématiques persistent. En classe de troisième, 75% des adolescents ont déjà expérimenté l’alcool et 20% ont connu une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois précédent. À 17 ans, ces chiffres atteignent respectivement 85% et 45%. Fait notable : 30% des consommations d’alcool chez les jeunes ont lieu en présence des parents, signe d’une normalisation sociale qu’on ne retrouverait pas avec d’autres substances.

Dans sa pratique clinique, le Dr Prouheze constate que les jeunes consultent rarement pour des problèmes d’alcool spécifiquement. L’alcool apparaît souvent comme produit secondaire lors de consultations motivées par d’autres consommations illicites. Il relate l’exemple frappant d’un jeune dont l’ivresse lors d’une fête familiale n’avait suscité aucune inquiétude, alors que la découverte d’un “joint” avait immédiatement déclenché une consultation.

Pour aborder efficacement ces questions, le psychiatre recommande plusieurs principes d’intervention. D’abord, s’adresser au sujet dans sa globalité et non uniquement à travers sa consommation : “Il faut parler d’abord au sujet avant de parler à la personne qui consomme de l’alcool.” Il préconise également d’éviter la posture moralisatrice et de ne pas s’appuyer sur l’interdit ou la transgression, particulièrement contre-productifs avec les adolescents.

Le Dr Prouheze insiste sur le concept de “constellation transférentielle”, issu de la psychothérapie institutionnelle en relation au réseau de professionnels coordonnant son action autour du jeune. Cette approche nécessite un travail préalable sur les représentations au sein même des équipes :

Il souligne également la nécessité d’accepter une temporalité longue dans l’accompagnement. “L’addictologie n’est pas un sprint, ni même du demi-fond, c’est de l’hyperfond”, rappelle-t-il, insistant sur l’importance d’être présent dans la durée, d’accepter les rechutes éventuelles sans jugement ni déception.

En conclusion, le psychiatre replace la problématique de l’alcool chez les jeunes dans un contexte plus large d’incertitude et d’anxiété propre à la génération actuelle : “C’est compliqué aujourd’hui d’être jeune et de se dire « Pourquoi je suis là. De toute façon, je vais probablement voir la fin du monde. J’aurai pas de boulot.” Face à ces défis existentiels, il appelle à “leur donner un petit peu de vie”, à “faire du transfert de vie” plutôt qu’à se focaliser uniquement sur la substance consommée, soulignant ainsi que derrière chaque addiction se cache une quête de sens et d’identité qu’il convient d’accompagner avec bienveillance et sans stigmatisation.