Séminaire du 6 décembre 2024 par Grégory Pfau, Pharmacien
Lors de ce séminaire, Grégory Pfau, docteur en pharmacie travaillant depuis quinze ans auprès de personnes utilisatrices de substances, a partagé son expertise sur les usages de substances psychoactives chez les jeunes. Il intervient dans des dispositifs de réduction des risques, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans une unité d’addictologie, et coordonne un dispositif d’études ethnographiques des nouvelles tendances de consommation en lien avec l’Observatoire français des drogues.
Le conférencier a d’abord rappelé que les drogues sont des substances qui agissent sur le cerveau en perturbant son fonctionnement, modifiant les sensations, perceptions, humeurs et états de conscience. Ces substances peuvent être classées en trois catégories principales : les stimulants (comme la caféine, la cocaïne, le tabac), les dépresseurs qui ralentissent l’activité cérébrale, et les hallucinogènes comme le LSD qui induisent des distorsions sensorielles ou des hallucinations. Il a souligné que le statut légal des substances (licites, illicites ou réglementées) ne présume en rien de leurs effets ou méfaits.
En matière de promotion de la santé, l’intervenant s’est référé à la Charte d’Ottawa (1986) qui définit la santé comme tridimensionnelle (physique, mentale et sociale) et comme une ressource plutôt qu’une fin en soi. Cette approche vise à autonomiser les personnes en ouvrant le dialogue, en acceptant leurs choix, en allant vers elles et en construisant avec elles plutôt qu’en leur dictant des comportements. Il a rappelé qu’utiliser une substance ne signifie pas nécessairement souffrir d’un trouble lié à l’usage, ce dernier se caractérisant par une réduction du contrôle, une altération du fonctionnement social, la répétition de schémas néfastes et le développement d’une tolérance ou d’un syndrome de sevrage.
Les données épidémiologiques de l’enquête ESCAPAD montrent une tendance à la baisse pour la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis chez les jeunes de 17 ans entre 2000 et 2022, bien que les chiffres restent significatifs avec 80% d’expérimentation d’alcool à cet âge. Le phénomène d’alcoolisation ponctuelle importante (ou “binge drinking”) touche une proportion importante des jeunes, avec une définition établie à cinq unités d’alcool ou plus en une occasion. Grégory Pfau a insisté sur la vulnérabilité particulière du cerveau adolescent aux effets toxiques de l’alcool, avec des conséquences sur la mémoire et la prise de décision d’autant plus persistantes que les consommations sont précoces et régulières.
Parmi les tendances récentes observées chez les jeunes (15-25 ans), la polyconsommation (association de plusieurs substances) est courante, souvent pour modifier l’effet d’une substance précédente. Les voies d’administration varient, fumer et vaper étant les plus fréquentes, suivies par l’ingestion, le sniff et plus rarement l’injection. Dans les espaces de marginalité urbaine, notamment chez les mineurs non accompagnés (MNA), les professionnels observent l’usage de dépresseurs comme les benzodiazépines ou la prégabaline (Lyrica), de médicaments opioïdes (tramadol, codéine) et de stimulants (cocaïne, 3-MMC, MDMA, crack). Ces usages s’inscrivent parfois dans des contextes complexes d’implication dans des trafics, d’automédication ou d’échanges économico-sexuels.
Le conférencier a particulièrement attiré l’attention sur deux substances préoccupantes : le protoxyde d’azote (gaz hilarant) et les cannabinoïdes de synthèse. Le protoxyde d’azote, dont la consommation se développe avec des conditionnements de plus en plus volumineux, provoque euphorie et sensation d’ivresse mais peut entraîner des complications neurologiques graves allant jusqu’à la paralysie. Les cannabinoïdes de synthèse, présents dans des e-liquides marketés (PTC, Bouddha Blue, SPLIN), sont beaucoup plus puissants que le THC naturel et entraînent des méfaits principalement psychiatriques mais aussi somatiques, affectant divers organes.
En ce qui concerne l’obtention des drogues, Grégory Pfau a évoqué la dématérialisation croissante des marchés avec des systèmes de livraison, l’utilisation d’internet et du Darknet, ainsi que l’implication des jeunes dans les trafics via des “piges à la journée”. Les revendeurs développent des stratégies marketing sophistiquées avec menus de substances, relances par SMS et packaging attractif, tout en diffusant des informations souvent trompeuses sur la composition et la teneur des produits. Les analyses révèlent d’ailleurs une hausse des taux de pureté pour certaines substances (cannabis, cocaïne, MDMA) mais aussi des fraudes importantes, comme l’illustre le cas de la 3-MMC dont moins de 10% des échantillons contiennent réellement la substance annoncée en 2024.
Pour conclure, l’intervenant a souligné l’importance d’une approche en réduction des risques qui prend en compte la complexité des usages, des produits et des contextes, en mentionnant plusieurs ressources institutionnelles et associatives, dont le dispositif “Analyse ton prod” qui permet d’analyser les substances dans un but de réduction des risques et d’information factuelle aux usagers.